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Bêtise

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Message  Paul Lun 3 Sep - 11:35


De la bêtise et consorts

Peu de temps avant de disparaître, le philosophe Lucien Jerphagnon consacrait en 2010 un recueil de citations à la sottise, La… sottise ? (Vingt-huit siècles qu’on en parle). Dans Stupidity Avital Ronell, d’une autre manière, traite le même thème…qui semble ainsi d’actualité à toutes les époques.
Vaste sujet qui revêt bien des facettes. S’y intéresser, n’est-ce pas tenter de se rassurer sur sa propre intelligence, son bon sens personnel ? Lucien Jerphagnon écrit d’ailleurs dans son avant-propos « Consacrer un livre à la sottise expose de toute évidence l’auteur à quelques sarcasmes universitaires. On lui appliquera, c’est sûr, le mot de Talleyrand à propos du mépris que Fouché disait vouer à la nature humaine : « C’est qu’il se sera beaucoup observé… »
Avital Ronell rejoint Jerphagnon pour exprimer l’idée que la bêtise et l’intelligence n’appartiennent pas à des domaines totalement étanches l’un à l’autre « Dans la mesure où la morale enseigne l’aversion d’une liberté excessive, elle impose le besoin d’horizons restreints et de tâches prochaines, inculque un certain rétrécissement des perspectives, et donc, « en un certain sens », enseigne la bêtise comme condition de vie et de croissance…Pour lui (Nietzsche), non seulement la bêtise ne manque pas de rigueur, mais c’est même à elle que l’on doit la discipline, le dressage et l’éducation…
L’intelligence elle –même repose sur un schéma de réserve qui rejoint parfois l’irrémédiable réticence de l’idiot. »
Dans Le dictionnaire du diable Ambrose Bierce écrit, à l’entrée « Imbécile » : « Membre d’une grande et puissante tribu, dont l’influence dans les affaires humaines a toujours été prééminente. L’activité de l’imbécile ne s’est pas limitée à un domaine spécial de la pensée ou de l’action, mais en a « pénétré et réglé l’ensemble ». En toutes choses, il a le dernier mot ; ses décisions sont sans appel. Il domine les courants de l’opinion et du goût, détermine le temps de parole et circonscrit la conduite avec une limite à ne pas franchir. »
Cependant, Ambrose Bierce fait suivre immédiatement cette charge d’un article dont l’ironie ambiguë rejoint la prudence de Jerphagnon à l’égard de la sottise : « Imbécillité : Sorte d’inspiration divine, ou d’illumination sacrée, affectant les détracteurs de ce dictionnaire. »
Si le sujet mérite d’être approfondi, il convient de se livrer à une analyse linguistique et sémantique afin de mieux cerner de quoi il est question, car on utilise indifféremment les mots « bêtise, sottise, stupidité… » alors que chacun recouvre une réalité différente. Voici donc une liste non exhaustive de termes relevant du même sujet analysés et classés par ordre décroissant de gravité à l’aide du TLF (Trésor de la Langue Française), excellent dictionnaire en ligne, et d’une pointe de fantaisie personnelle.
Connerie : Faire preuve de connerie, c’est littéralement repasser en sens inverse les limites du con ( de cunus , latin, sexe féminin désigné très vulgairement), remonter à un stade prénatal. La connerie est en quelque sorte une manifestation de non existence, de négation d’identité propre et de culture. La fameuse phrase prononcée au salon de l’agriculture par un Président de la République « Casse-toi, alors, pauvre con ! » illustre parfaitement ce sens. A la personne qui refuse de lui serrer la main, donc de le reconnaître, le Président refuse « alors », à son tour, de reconnaître la moindre forme d’identité en la traitant de con. Ce jeu sur l’identité rappelle une anecdote ; traité de connard, Chirac aurait répondu en tendant la main « Enchanté, moi c’est Jacques Chirac. » Quant à de Gaulle accueilli aux cris de « Mort aux cons ! », il aurait répliqué « Vaste programme ! »
Dans Les Tontons Flingueurs, Audiard fait dire à l’un de ses personnages « Les cons, ça ose tout ; c’est même à ça qu’on les reconnaît ». Or, qui n’a jamais tout osé, ne serait-ce qu’en pensée ?

Viennent ensuite, pratiquement à égalité, l’idiotie et le crétinisme .
Crétinisme : C’est un état pathologique associé à une déficience des facultés intellectuelles et parfois à une dégénérescence physique, que Balzac décrit dans l’une de ses œuvres Le médecin de campagne.
Idiotie : Elle représente l’état le plus grave de l’arriération mentale, avec malformation du système nerveux. Elle est d’abord une pathologie. Elle aussi est présente en littérature avec le roman de Dostoïevski L’Idiot, mais on la retrouve dans des formules toutes simples comme « Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt. »
Débilité : Elle est tout simplement un état de faiblesse plus ou moins profonde, physique ou mentale.
Bêtise : Elle renvoie au statut de la bête. A ne pas confondre avec l’animal car l’expression « Quel animal ! » revêt parfois une connotation admirative et même drôle, « Quel drôle d’animal ! » Renan Luce chante « On n’est pas à une bêtise près/ Faisons –la et voyons après. » Desproges, lui, se montre particulièrement subtil en déclarant « L’ennemi est bête : il croit que c’est nous l’ennemi alors que c’est lui. » Jacques Brel confirme cette ambiguïté à dénoncer la bêtise comme si l’on en était soi-même exempt . Il l’interpelle ainsi dans L’air de la bêtise « Pour qu’il puisse m’arriver/De croiser certains soirs/Ton regard familier/Au fond de mon miroir. »
Anerie : Elle est une sous catégorie à orientation scolaire de la bêtise (voir le bonnet d’âne).
Imbécillité : Cette faiblesse peut être aussi bien physique qu’intellectuelle. Elle prédispose éventuellement à une forme de béatitude vécue par les imbéciles heureux. Desproges loue leur disponibilité « Il ne faut pas désespérer des imbéciles. Avec un peu d’entraînement, on peut arriver à en faire des militaires. » Et comme « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis », cette particularité en fait des subordonnés obéissants.
Stupidité : Elle vient du latin stupere, qui signifie être engourdi, demeurer immobile. On pourrait donc la considérer comme un état passager (donc facilement pardonnable ?). La stupidité laisse parfois interdit.
Niaiserie : C’est une futilité, une perte de temps. Le niais, tout comme le « brave » du midi, est sot par manque d’expérience ou par excès de simplicité. L’intérêt de ce substantif est de s’accompagner du verbe niaiser, s’occuper à des futilités. Le niais est bien proche du Naïf dont Paul Guth fit le portrait à travers sept romans. Il est vrai que cette faiblesse d’un personnage devient souvent une qualité en littérature si l’on pense à Candide, à L’Ingénu de Voltaire.
Sottise : Elle est un manque d’intelligence, de jugement, une maladresse, un acte de désobéissance, le tout relatif d’abord à l’enfance. Qui ne jette un regard indulgent sur sa propre enfance ? C’est pourquoi on pardonne plus facilement une sottise que d’autres erreurs.
Couillonnade : Elle est hors concours car , contrairement aux mots précédents, elle ne désigne qu’une action sans constituer aussi un état. Comme sa cousine la pantalonnade elle se situe le plus souvent au-dessous de la ceinture.
Deux mots méritent encore de l’attention.
Brave : « Il est(bien) brave », expression du midi qui constitue une antiphrase. C’est une formule ironique.
Bouffon : Il était autrefois l’image et la manifestation du seul contre pouvoir royal. L’époque contemporaine exagérant démesurément la notion d’image, le bouffon est devenu la manifestation comportementale d’un immense vide, sans aucun contre pouvoir.
Ce qui apparaît manifestement des crétins, des idiots, des imbéciles et autres débiles, c’est qu’ils constituent la grande majorité de la société. L’affaire est donc d’échapper à toute majorité ; mais comment ? Peut-être l’alternance politique aurait-elle des vertus anti connerie ?
Si l’on pousse un peu plus loin l’analyse , la débilité, l’imbécillité, l’idiotie confinent par leur obstination à la folie, elle-même particulièrement ambiguë, qui nous valut L’Eloge de la folie d’Erasme, aussi bien que ce mot de Michel Audiard « Heureux soient les fêlés car ils laisseront passer la lumière . »
Un point semble certain, toutes ces notions s’opposent à l’intelligence. Si pour Desproges « L’intelligence, c’est comme les parachutes, quand on n’en a pas, on s’écrase », Flaubert affirme que « La bêtise consiste à vouloir conclure ».
Pour Natalie Clifford Barney, enfin, « L’intelligence interroge et la bêtise répond » ; c’est donc à chacun de se forger sa propre définition de la bêtise.

Voici maintenant un petit test. Répondez par oui ou non à ces dix propositions. Chaque réponse peut vous ajouter ou vous coûter un point. Faites votre évaluation vous-même :

_ Je ne change jamais d’avis.
_ Je fais partie d’une majorité, quelle qu’elle soit.
_ Je souhaite vivement faire partie d’une majorité.
_ Je fais partie d’une minorité visible.
_ Je me sens souvent très seul(e).
_ L’enfer, c’est les autres.
_ Je travaille plus pour gagner plus.
_ Je travaille moins pour gagner autant.
_ Je travaille moins pour gagner plus.
_ Je travaille plus pour gagner moins.
_ Si les autres travaillaient plus, la France se redresserait.
_ Je suis militaire.
_ J’ai réponse à tout.


Paul
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