Retorse: suite et fin.
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Retorse: suite et fin.
« En Italie » se répétait-elle. Ses projets, ses espoirs s’effondraient. Car, qu’irait-elle faire là-bas ? Avec la mafia, le travail au noir, les trafics. Mon Dieu, pourquoi s’était-elle trompée ? Pas d’amis, pas de meilleure place dans les contes ! Elle serait toujours un personnage égaré, déplacé aussi bien dans les convois friqués que dans les contes !
Cette perspective lui était insupportable, d’autant plus inadmissible qu’elle survenait au milieu des espoirs asiatiques les plus fous.
Pas d’Asie, pas d’Italie, restait Monaco. Oui ? Non ? Pourquoi pas ? Cependant le cliquetis s’imposait de nouveau à son oreille. L’employé resté debout commençait à s’impatienter. Même arrêtée, sa jambe subissait les vibrations du train et cliquetait, malheureusement pour rien.
« Chi va piano » peut-être, mais le temps c’est de l’argent, et il fallait se décider.
Retorse se reprit. Son seul espoir restait Monaco. Après tout…pour une princesse
Que peuvent faire les bons contes à Monaco ? Des contes d’épargne, à l’eau de rose. Des contes en banque, avec la plus grande banque de données de contes. Des comptes à dormir debout…Oui, en fin de compte, Monaco offrait quelques perspectives à l’imagination de Retorse.
Elle demanda un billet pour la Principauté au contrôleur dont les cliquetis redoublèrent : le préposé avait pris appui sur sa prothèse pour actionner sa machine à délivrer les billets.
Délivrer murmura Retorse qui se prit à rêver. Délivrer ! Depuis un certain temps, Retorse s’égarait ainsi dans des pensées tournées vers le rêve. Les uns parlaient de gâtisme, les autres du compère Alzheimer, mais pour tous elle était décrépite, car les gens préfèrent décrépir ceux qui ne pensent pas comme eux plutôt que d’envisager l’éventualité de se décrépir eux-mêmes une fois de temps à autre afin de mieux se ravaler.
Mais le contrôleur manifesta son impatience en cliquetant à contre-rythme et Retorse déboursa le prix de son billet.
La suite du voyage se déroula sans incident. La Essainecéef prenait soin d’isoler les princesses. Une par compartiment. Il était sage de ne pas ajouter à la douleur de l’exil le regard scrutateur d’autrui.
Au bout de quelques heures, Retorse fut tirée de son assoupissement par une pénétrante odeur de poisson, de sardine plus précisément.
Marseille n’était pas loin ; Monaco non plus.
Il faudrait y faire bonne figure. Toilette, maquillage, coup de peigne, Retorse utilisa tous les artifices féminins afin de se redonner un peu de fraîcheur.
C’est qu’à Monaco, elle risquait gros !
Un petit hôtel accueillit Retorse et ses deux valises. Le soir- même , elle se rendait au casino, haut lieu de la vie locale, lieu propice aussi pour régler ses comptes.
On les lui régla, assurément, mais pas comme elle l’avait espéré. Roulette, black-jack, chemin de fer (encore !) eurent raison de ses économies. Grisée par de fallacieux espoirs, Retorse jouait sans calcul, sans retenue. La magie du jeu, le luxe, les éclairages, les sourires, la chaleur du lieu lui tournèrent la tête et très vite Retorse, une professionnelle de l’illusion pourtant, se crut dans un véritable conte. Elle croyait même y jouer le premier rôle.
Elle ne jouait, en réalité, que son argent.
Elle comprit, mais trop tard, que c’était lui le héros, la vedette , le point de mire et qu’elle, comme toujours, n’était qu’une figurante de deuxième plan, un accessoire déplacé. Les souries ne lui étaient plus destinés, le jeu était devenu sordide, la lumière accentuait ses traits défaits.
Tout principe ôté, Retorse éclata en sanglots. Ses larmes n’émurent personne et le personnel la ficha dehors.
Elle erra toute la nuit. Son moral était au plus bas. Au fond, elle n’avait aucune expérience de la vraie vie. Ce qu’elle connaissait tenait surtout du merveilleux où tout était arrangé d’avance par un écrivain ou un metteur en scène. Même si sa vie de princesse décrépipi d’chat n’avait pas été jusque là aussi exaltante qu’elle l’aurait souhaité, son rôle y était programmé. Pas d’angoisse existentielle, pas de fins de mois difficiles. Elle ne tenait pas le haut de l’affiche, et alors ? Quelle présomptueuse ! Pourquoi avait-elle décidé de fuir ce confortable anonymat ? Le goût du succès, du luxe ? La célébrité ?
Affalée sur un banc, face à la mer qu’elle ne voyait même pas, Retorse essayait de comprendre quelle mouche l’avait piquée. Un petit bout de rôle de temps à autre, entre une princesse haut de gamme et la sorcière de service ne lui suffisait donc plus ?
Ce ne pouvait pas être ça ; elle y était rôdée depuis trop longtemps.
Ce qu’elle cherchait, au fond, elle commençait à l’entrevoir : la vraie vie, l’aventure, le risque, les risques partagée, la chaleur humaine. Mais oui ! de vrais sentiments ! Plus de scénarios joués d’avance, plus de dés pipés, ni dans les contes, ni autour des tables de casinos. Désormais, la fadeur des premiers l’insupportait ; quant aux casinos, l’humiliation subie dans celui de la Principauté lui suffisait. Elle en avait eu tout son soûl, pour son argent. On l’avait bel et bien bernée ! Il faudrait mettre en garde les innocentes princesses contre les pièges de Monaco.
Peu à peu Retorse revenait sur terre. Alors qu’elle atterrissait, que ses pensées reprenaient bien place dans son corps affalé sur le banc, face à la mer, un petit refrain lancinant, irritant, s’imprimait en filigrane dans son esprit : « Sou, argent, sou argent. Argent, sou. Plus sans l’sou. Vive l’argent ».
Et soudain sa décision fut prise : oui, il fallait entrer dans la vraie vie, y plonger, s’y ébattre et y tracer sa propre voie.
Là, à Monaco , elle avait plongé bien bas.
Sa nouvelle vie devait commencer ailleurs. Les connaissances géographiques de Retorse était cependant limitées. Elle avait mis une croix sur l’Asie, un voile sur l’Italie.. »une croix…Où pouvait-elle trouver l’accueil qu’elle souhaitait ?...une croix…un pays sain, frais, avec de l’argent…une croix…des banques…L’image d’un petit pays dont les fromages étaient bourrés de trous, mais pas les coffres-forts se précisa lentement mais sûrement. « Chi va piano ne met pas le feu au lac ».
D’ailleurs les Suisses gardaient le pape, l’argent du monde, le silence sur sa provenance ; pourquoi pas une princesse, après tout ?
Retorse regagna sa chambre d’hôtel.
Comme son rôle de princesse de conte ne lui convenait plus, elle décida de vendre son dernier bien, sa couronne, pour financer son voyage et son installation en Suisse (ainsi que son fer à repasser les couronnes froissées). Elle apprit à cette occasion que son princier couvre-chef était en toc et n’en tira pas autant qu’elle avait escompté.
Ses quelques billets de banque en bourse, elle prit un billet de train pour Genève, son lac, son jet d’eau, ses banques, ses…
Mais cette fois-ci, il ne s’agissait ni de rêver, ni d’arriver au moment où le train partait, ni de se tromper de quai.
Organisation, Quintessence, Ponctualité –OQP- telle serait désormais la devise de Retorse.Elle n’eut ni yeux, ni oreilles pour d’éventuels quais embrumés.
Installée dans un compartiment bien avant l’heure du départ, elle vit avec plaisir s’y asseoir un vieux monsieur charmant, ganté, courtois, avec lequel elle se sentit aussitôt à l’aise. Ils papotèrent à propos de tout et de rien, paisiblement, sans rompre aucun bâton. C’était plus agréable et plus vivant que les convois friqués. Une petite ligne ferroviaire sans prétention qui ajoutait au voyage l’agrément d’une promenade à travers les Alpes.
Retorse revivait…ou commençait à vivre.
Oubliée la soif du succès. Vendue la couronne. Notre ex- princesse se sentait devenir elle –même. Elle était enfin OQP à vivre. Charmé, le vieux monsieur en oubliait son rôle de roi dans une histoire soporifique qui provoquait d’inexplicables cauchemars chez tous les garnements.
C’est alors que commença pour de bon l’histoire de Retorse et de son compagnon. Elle vécut très heureuse, sans plus penser aux contes, ni aux comptes.
Mais toi, lecteur, la Suisse, les contes, les comptes… ?
Cette perspective lui était insupportable, d’autant plus inadmissible qu’elle survenait au milieu des espoirs asiatiques les plus fous.
Pas d’Asie, pas d’Italie, restait Monaco. Oui ? Non ? Pourquoi pas ? Cependant le cliquetis s’imposait de nouveau à son oreille. L’employé resté debout commençait à s’impatienter. Même arrêtée, sa jambe subissait les vibrations du train et cliquetait, malheureusement pour rien.
« Chi va piano » peut-être, mais le temps c’est de l’argent, et il fallait se décider.
Retorse se reprit. Son seul espoir restait Monaco. Après tout…pour une princesse
Que peuvent faire les bons contes à Monaco ? Des contes d’épargne, à l’eau de rose. Des contes en banque, avec la plus grande banque de données de contes. Des comptes à dormir debout…Oui, en fin de compte, Monaco offrait quelques perspectives à l’imagination de Retorse.
Elle demanda un billet pour la Principauté au contrôleur dont les cliquetis redoublèrent : le préposé avait pris appui sur sa prothèse pour actionner sa machine à délivrer les billets.
Délivrer murmura Retorse qui se prit à rêver. Délivrer ! Depuis un certain temps, Retorse s’égarait ainsi dans des pensées tournées vers le rêve. Les uns parlaient de gâtisme, les autres du compère Alzheimer, mais pour tous elle était décrépite, car les gens préfèrent décrépir ceux qui ne pensent pas comme eux plutôt que d’envisager l’éventualité de se décrépir eux-mêmes une fois de temps à autre afin de mieux se ravaler.
Mais le contrôleur manifesta son impatience en cliquetant à contre-rythme et Retorse déboursa le prix de son billet.
La suite du voyage se déroula sans incident. La Essainecéef prenait soin d’isoler les princesses. Une par compartiment. Il était sage de ne pas ajouter à la douleur de l’exil le regard scrutateur d’autrui.
Au bout de quelques heures, Retorse fut tirée de son assoupissement par une pénétrante odeur de poisson, de sardine plus précisément.
Marseille n’était pas loin ; Monaco non plus.
Il faudrait y faire bonne figure. Toilette, maquillage, coup de peigne, Retorse utilisa tous les artifices féminins afin de se redonner un peu de fraîcheur.
C’est qu’à Monaco, elle risquait gros !
Un petit hôtel accueillit Retorse et ses deux valises. Le soir- même , elle se rendait au casino, haut lieu de la vie locale, lieu propice aussi pour régler ses comptes.
On les lui régla, assurément, mais pas comme elle l’avait espéré. Roulette, black-jack, chemin de fer (encore !) eurent raison de ses économies. Grisée par de fallacieux espoirs, Retorse jouait sans calcul, sans retenue. La magie du jeu, le luxe, les éclairages, les sourires, la chaleur du lieu lui tournèrent la tête et très vite Retorse, une professionnelle de l’illusion pourtant, se crut dans un véritable conte. Elle croyait même y jouer le premier rôle.
Elle ne jouait, en réalité, que son argent.
Elle comprit, mais trop tard, que c’était lui le héros, la vedette , le point de mire et qu’elle, comme toujours, n’était qu’une figurante de deuxième plan, un accessoire déplacé. Les souries ne lui étaient plus destinés, le jeu était devenu sordide, la lumière accentuait ses traits défaits.
Tout principe ôté, Retorse éclata en sanglots. Ses larmes n’émurent personne et le personnel la ficha dehors.
Elle erra toute la nuit. Son moral était au plus bas. Au fond, elle n’avait aucune expérience de la vraie vie. Ce qu’elle connaissait tenait surtout du merveilleux où tout était arrangé d’avance par un écrivain ou un metteur en scène. Même si sa vie de princesse décrépipi d’chat n’avait pas été jusque là aussi exaltante qu’elle l’aurait souhaité, son rôle y était programmé. Pas d’angoisse existentielle, pas de fins de mois difficiles. Elle ne tenait pas le haut de l’affiche, et alors ? Quelle présomptueuse ! Pourquoi avait-elle décidé de fuir ce confortable anonymat ? Le goût du succès, du luxe ? La célébrité ?
Affalée sur un banc, face à la mer qu’elle ne voyait même pas, Retorse essayait de comprendre quelle mouche l’avait piquée. Un petit bout de rôle de temps à autre, entre une princesse haut de gamme et la sorcière de service ne lui suffisait donc plus ?
Ce ne pouvait pas être ça ; elle y était rôdée depuis trop longtemps.
Ce qu’elle cherchait, au fond, elle commençait à l’entrevoir : la vraie vie, l’aventure, le risque, les risques partagée, la chaleur humaine. Mais oui ! de vrais sentiments ! Plus de scénarios joués d’avance, plus de dés pipés, ni dans les contes, ni autour des tables de casinos. Désormais, la fadeur des premiers l’insupportait ; quant aux casinos, l’humiliation subie dans celui de la Principauté lui suffisait. Elle en avait eu tout son soûl, pour son argent. On l’avait bel et bien bernée ! Il faudrait mettre en garde les innocentes princesses contre les pièges de Monaco.
Peu à peu Retorse revenait sur terre. Alors qu’elle atterrissait, que ses pensées reprenaient bien place dans son corps affalé sur le banc, face à la mer, un petit refrain lancinant, irritant, s’imprimait en filigrane dans son esprit : « Sou, argent, sou argent. Argent, sou. Plus sans l’sou. Vive l’argent ».
Et soudain sa décision fut prise : oui, il fallait entrer dans la vraie vie, y plonger, s’y ébattre et y tracer sa propre voie.
Là, à Monaco , elle avait plongé bien bas.
Sa nouvelle vie devait commencer ailleurs. Les connaissances géographiques de Retorse était cependant limitées. Elle avait mis une croix sur l’Asie, un voile sur l’Italie.. »une croix…Où pouvait-elle trouver l’accueil qu’elle souhaitait ?...une croix…un pays sain, frais, avec de l’argent…une croix…des banques…L’image d’un petit pays dont les fromages étaient bourrés de trous, mais pas les coffres-forts se précisa lentement mais sûrement. « Chi va piano ne met pas le feu au lac ».
D’ailleurs les Suisses gardaient le pape, l’argent du monde, le silence sur sa provenance ; pourquoi pas une princesse, après tout ?
Retorse regagna sa chambre d’hôtel.
Comme son rôle de princesse de conte ne lui convenait plus, elle décida de vendre son dernier bien, sa couronne, pour financer son voyage et son installation en Suisse (ainsi que son fer à repasser les couronnes froissées). Elle apprit à cette occasion que son princier couvre-chef était en toc et n’en tira pas autant qu’elle avait escompté.
Ses quelques billets de banque en bourse, elle prit un billet de train pour Genève, son lac, son jet d’eau, ses banques, ses…
Mais cette fois-ci, il ne s’agissait ni de rêver, ni d’arriver au moment où le train partait, ni de se tromper de quai.
Organisation, Quintessence, Ponctualité –OQP- telle serait désormais la devise de Retorse.Elle n’eut ni yeux, ni oreilles pour d’éventuels quais embrumés.
Installée dans un compartiment bien avant l’heure du départ, elle vit avec plaisir s’y asseoir un vieux monsieur charmant, ganté, courtois, avec lequel elle se sentit aussitôt à l’aise. Ils papotèrent à propos de tout et de rien, paisiblement, sans rompre aucun bâton. C’était plus agréable et plus vivant que les convois friqués. Une petite ligne ferroviaire sans prétention qui ajoutait au voyage l’agrément d’une promenade à travers les Alpes.
Retorse revivait…ou commençait à vivre.
Oubliée la soif du succès. Vendue la couronne. Notre ex- princesse se sentait devenir elle –même. Elle était enfin OQP à vivre. Charmé, le vieux monsieur en oubliait son rôle de roi dans une histoire soporifique qui provoquait d’inexplicables cauchemars chez tous les garnements.
C’est alors que commença pour de bon l’histoire de Retorse et de son compagnon. Elle vécut très heureuse, sans plus penser aux contes, ni aux comptes.
Mais toi, lecteur, la Suisse, les contes, les comptes… ?
Paul- Membre Actif de l'Opale
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Date d'inscription : 27/04/2008
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